La philosophie Wabi Sabi et le minimalisme - CATHERINE VALENTIN

« Il y a une fissure dans tout, c’est comme ça que la lumière pénètre » - Jellaludin Rumi

Qu’est-ce que la philosophie Wabi Sabi ?

Philosophiquement le terme Wabi signifie simple, immatérialiste, humble par choix et en harmonie avec la nature. La notion de Wabi renvoie ainsi à une simplicité et une élégance naturelle.

Sabi signifie littéralement « l’éclosion du temps », où la beauté et la sérénité vient avec l’âge. Il s’agit de l’authenticité, une preuve que la beauté est fugace et ne dure pas.

Cette philosophie est un art de vivre, une façon de ressentir les choses. Vivre Wabi Sabi c’est privilégier la simplicité et l’harmonie, en acceptant ce qui est imparfait et les petits rien du quotidien. À l’inverse de notre société de consommation qui prône le toujours plus, cette philosophie nous invite à abandonner le superflu et de dire oui à l’essentiel.

Quelles sont les principes de cette philosophie ?

Il y a sept aspects esthétiques de la philosophie Wabi Sabi :

1°) Fukinsei : asymétrie, irrégularité    

2°) Kanso : simplicité, élimination de l’encombrement

3°) Shibumi : austérité et nature altérée

4°) Shizen : sans prétention, naturel

5°) Yugen : grâce subtilement profonde, pas évidente

6°) Datsuzoku : illimité par convention, gratuit

7°) Seijaku : immobilité, tranquillité

Nous pouvons donc les résumer ainsi :

  • Une nature indomptée qui permet refléter la discrète élégance du temps qui passe.
  • Accepter l’imperfection et la redécouvrir. La symétrie et la perfection n’existe pas dans ce monde. Cette philosophie nous invite donc à ignorer les lignes droites pour préférer la délicate imperfection des courbes et de l’asymétrie. Le savoir-faire est en ce sens l’allégorie de la philosophie Wabi Sabi, car il témoigne d’une patience pour réaliser des œuvres imparfaites et uniques. Il s’agit d’une beauté qui s’éloigne des conventions et des diktats de la perfection et de la symétrie.
  • La beauté se trouver dans la simplicité, le beau sans fioritures. Les matières naturelles encouragent cette authenticité.
  • Se sentir bien avec soi, contempler la poésie du temps qui passe.
  • Moins, mais mieux, adopter un mode de vie plus responsable, en accord avec la planète, et en privilégiant la qualité à la quantité.

Et la mode dans tout ça ?

Cette nouvelle esthétique (voire même anti-esthétique pour certains commentateurs) de l’imperfection, de l’asymétrie, de l’authenticité, de l’élégance naturelle en accord avec soi, résonne dans l’esprit des créateurs japonais tels que Miyake, Kawakubo et Yamamoto. « Less is more », telle est la devise du mouvement minimaliste initié par Rei Kawakubo dans les années 1980. Anticonformiste, la créatrice japonaise défend une vision du vêtement bien loin des diktats imposés par la mode. Le vêtement est alors une seconde peau, un prolongement de soi, et pas une simple pièce de tissu qui couvre la nudité. Selon elle, on achète un vêtement pour ce qu’il apporte, et non pour ce à quoi il fait ressembler. Par son minimalisme, le kimono est un vêtement en conversation avec le corps, la peau et l’esprit humble et sensuel.

Plus généralement, ces philosophes de la mode amènent dans leur travail irrégularité, asymétrie, simplicité et complexité, la déconstruction et la construction. Par cette sensibilité, ces designers japonais nous confrontent à la beauté authentique de l’humanité à travers leurs vêtements. Leurs œuvres dérangent et provoquent car nous avons peur de reconnaître que l’imperfection est inhérente à la condition humaine.

Cette philosophie se traduit notamment par :

  • des vêtements conventionnels déconstruits et reconstitués ;
  • des tons monochromes ;
  • des volumes inhabituels, de nouvelles proportions ;
  • l’asymétrie ;
  • des vêtements non-finis maintenus par des nœuds.

En d’autres termes… une nouvelle beauté défiant les conventions, normes et diktats esthétiques.

La créativité des designers japonais a inspiré de nombreux créateurs belges. Ainsi, Ann Demeulemeester, ancienne étudiante en mode de l’Académie Royale des beaux-arts d’Anvers, découvre une nouvelle liberté en tant que créatrice et que femme. Tout comme Rei Kawakubo, elle remet en cause les stéréotypes de la beauté et du genre occidental. La femme est alors forte, a une estime de soi et plaît aux hommes grâce à son esprit plutôt que par son corps.

Martin Margiela, autre créateur belge, puise son inspiration dans la poétique de la déconstruction des designers japonais. Il dissèque le vêtement, l’observe, le pense et le reconstruit ou plutôt le déconstruit (asymétries, déchirures, bords effilochés nœuds et ourlets inégaux).

De différentes cultures et de différentes générations, ces créateurs libres ont participé à l’apparition d’une « nouvelle esthétique » et à la reconnaissance de la mode comme une forme d’art à part entière.